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24 Feb

Le travail 13 mars 2024

Publié par ARES  - Catégories :  #2023-2024

Vidéo prise en direct 

https://fb.watch/qSj4pE8mte/

 

Atelier de réflexion éthique et sociale (A.R.E.S)


 

RENCONTRE -DÉBAT DU 13 MARS 2024

QUELLE PLACE POUR LE TRAVAIL AUJOURD’HUI ?


 

Les membre de l’association A.R.E.S se sont réunis le 13 mars 2024, au centre socio-culturel du Lardin-Saint-Lazare, pour leur 109 réunion d’échanges sur le thème : quelle place pour le travail aujourd’hui ?

Cette rencontre a été organisée en partenariat avec l’Association Interprofessionnelle du Terrassonnais (AIT).

Henri Delage, Président de l’association A.R.E.S, a ouvert la réunion en remerciant :

- la municipalité du Lardin-Saint-Lazare pour le prêt de la salle ;

- et Nathalie Geneste, docteur en économie, maître de conférences à la Faculté de Bordeaux et membre de l’Institut de Recherches Montesquieu pour avoir accepté de partager son analyse scientifique sur un sujet où les fausses croyances sont nombreuses.

Le travail de Nathalie Geneste consiste à donner des pistes de réflexion qui permettent d’approcher la réalité telle qu’elle est. C’est ainsi que l’on évite de prendre nos croyances et nos convictions pour la réalité.

Ont été associés aux remerciements toutes les personnes présentes, les responsables syndicaux, les employés, les employeurs, les élus, les responsables des différentes associations ou institutions.

Henri Delage a rappelé que la parole de chacun doit être écoutée avec la même attention et la même bienveillance car toute contribution est précieuse et la diversité des échanges permet de nourrir une réflexion commune. Puis, il a évoqué le succès de l’A.R.E.S qui repose sur un cadre, respecté à chaque rencontre, 20 minutes d’exposé par un expert (ce 13 mars 2024, une experte, Nathalie Geneste) suivi d’un temps d’échanges selon la règle de l’A.R.E.S qui est le cœur du secret de sa réussite :

« écouter l’autre avec suffisamment d’attention et de bienveillance jusqu’à être capable de changer d’opinion ».

Pour terminer son propos, Henri Delage rappelle l’actualité avec les Papeteries de Condat et la conscience aigüe que nous avons tous de la place du travail quand on le quitte de gré ou de force.


 

Intervention de Nathalie Geneste

Nathalie Geneste se présente comme maître de conférences en économie, plus particulièrement en macro-économie et en histoire économique. Son travail consiste à examiner à travers le temps comment l’économie se transforme et ce que ces transformations nous apprennent.

A côté de ses enseignements, elle effectue des recherches qui portent essentiellement sur la qualité de vie au travail dans tous les types d’organisations et plus particulièrement dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux.


 

  • La place du travail en France, sujet le plus médiatisé en 2023

Les médias et les Français se sont emparés de cette question. Le Président de la République lui-même en février 2023, lors de l’évocation de la réforme des retraites a déclaré que le vrai débat c’était : la place du travail en France.

A partir de ce point de départ, cette question a été traduite dans un vocabulaire très particulier, celui de la grande démission, d’une gigantesque épidémie de flemme qui aurait frappé plus particulièrement les jeunes Français. En économie, on appelle ce phénomène le « quiet quitting » que l’on traduit par démission silencieuse. C’est l’idée que l’on reste dans son emploi, sur son poste sans s’investir en faisant le strict minimum.

C’est cette présentation qui a été diffusée par les médias et qui a nourri la représentation que nous avons de la place du travail.

Cela se traduit par une idée très particulière d’une France coupée en deux, avec d’un côté des Français qui vont réellement investir le travail, des Français qui se lèvent tôt et de l’autre côté, des Français qui au contraire vont chercher à se libérer, travailler moins, prendre de la distance vis-à-vis du travail.

Cette opposition est source de crispations, de conflits et de malentendus.

 

  • Pourquoi avons-nous eu une telle présentation de la question du travail ?

Il y a plusieurs raisons qui viennent d’une succession de conflits ou d’interrogations sociales :

  • le malaise ressenti lors de la crise COVID par les emplois de 1ères lignes dans le secteur sanitaire et médico-social , ces métiers invisibilisés par le passé qui viennent au 1 rang ;

  • après le secteur sanitaire et social, la question de l’industrie a pris le relais et on a vu réapparaître le terme de souveraineté, de relocalisation du secteur industriel ;

  • plus récemment, c’est la question agricole qui pose la question du sens du travail, pourquoi ? à quel prix ? à quel coût ?

On est donc face à une succession d’interpellations, de conflits qui placent la question du travail sur le devant de la scène.

En comparant la place que nous accordons au travail par rapport à la place que les européens accordent au travail on constate des différences qui nous interpellent. Nous sommes également interrogés lorsque les européens nous observent avec nos grèves et nos conflits.

Au-delà de ces clichés, de ces images véhiculées dont il faut sortir, il y a une réalité : le rapport des Français au travail est un rapport qui se détériore.

Cette réalité peut paraître angoissante mais on peut l’objectiver à partir d’un certain nombre de recherches en allant voir ce qui se passe à l’intérieur de l’exercice même du travail. On s’aperçoit alors qu’il est question du désir de travailler et que c’est cela qui est en souffrance aujourd’hui.

  • Le point de départ du problème : un paradoxe

Le constat est que les Français conçoivent le travail de façon très paradoxale. Il y a une tension permanente entre ce qu’ils attendent du travail, leur désir et la façon dont ils le vivent au sens d’une épreuve physique et psychique. La dégradation des relations réside dans cette tension, dans ce fossé.

A l’intérieur des organisations productives, cela a des conséquences sur les travailleurs et les manageurs en termes de santé et d’investissement.

Un paradoxe énoncé, mais de quoi parle-t-on exactement ?

Depuis le COVID, les médias parlent de rupture comme si notre relation au travail était un phénomène révolutionnaire et récent. Or, cela n’est pas le cas. Ce que l’on constate aujourd’hui est à l’œuvre de manière nette depuis les années 1990 dans un contexte international, celui de la mondialisation, des marchés financiers. Cela se traduit par un processus de financiarisation des économies. La crise COVID de 2020 n’a été que le révélateur de faits qui sont là depuis longtemps.

  • En économie, des méthodes existent pour comprendre ce qui se passe

La méthode macro - économique qui va examiner l’économie à grande échelle au niveau de la France et une 2 méthode l’approche micro-économique qui va aller voir ce qui se passe à l’intérieur des organisations. Ces deux méthodes permettent d’avoir des indicateurs multiples qui donnent les différentes facettes de la réalité du travail et de notre relation au travail. Les chiffres obtenus sont issus d’études universitaires, de sondages variés et les résultats sont solides.

  • Que disent ces recherches pour éclairer le paradoxe énoncé ?


 

  • que les Français bougent beaucoup dans l’emploi, quittent leur emploi de manière plus fréquente que par le passé, d’où la fameuse expression « grande démission » ;

  • qu’au sein des pays de l’OCDE, les Français sont ceux qui consacrent le moins d’heures au travail et c’est l’annonce qui

est diffusée par les journalistes.


 

Sur ce dernier point, les économistes vont chercher pourquoi la France est un pays où l’on travaille le moins au sein de l’OCDE.

Les raisons sont les suivantes :

  • on rentre sur le marché du travail tardivement et cela touche les jeunes en raison de choix d’études ;

  • on sort précocement du marché du travail avec un âge de retraite qui est le moins élevé des pays de l’OCDE ;

  • enfin, on enregistre un taux de chômage décent mais « presque élevé ».

Ces raisons ne donnent pas d’indications sur la réalité du marché du travail car ce que l’on constate c’est qu’il y a des tensions pour recruter les jeunes et qu’il y a un refus du report de l’âge de la retraite. Entre l’entrée et la sortie du monde du travail, il y a une tension, un mal-être.

  • Dans ce contexte, la structure des emplois bouge et les attentes ne correspondent pas à la réalité

En France, les Contrats à Durée Indéterminée (CDI) dominent même si on enregistre un recul, ils représentent 70% des contrats signés.

Les indépendants traditionnels, artisans, commerçants et agriculteurs sont en train de reculer au profit d’une nouvelle forme de travail avec les auto-entrepreneurs.

Dans cette restructuration du monde du travail, on constate que les Français sont parmi tous les pays de l’Union Européenne les plus attachés au travail. 68% des Français, trouvent que le travail est très important, la proportion est de moins de 50% dans les pays comme l’Allemagne, les Pays Bas, la Belgique et le Royaume Uni.

Ce sont les jeunes, les moins de 30 ans qui manifestent un attachement plus fort au travail que leurs aînés et leurs attentes sont plus intenses : bien gagner sa vie, avoir un travail intéressant, avoir des relations sociales et une bonne ambiance au travail.

Leur attachement est un point fort qui fait partie du paradoxe. Ce positionnement des jeunes n’est pas ce que l’on entend et ce que les médias diffusent.

Or, c’est dans les attentes que le rapport au travail se façonne. On observe que le travail n’est pas seulement une activité productrice mais qu’il nous transforme. Donc, le travail bien que considéré comme très important ne doit pas prendre toute la place dans une vie. Il doit permettre de s’exprimer, s’épanouir, se réaliser, faire société.

  • Ces attentes dites expressives, développées dans les études et recherches effectuées, signifient qu’il y a d’autres façons de donner du sens au travail et de se réaliser sur son lieu de travail.

Dans les attentes expressives, la famille est le premier lieu qui vient en concurrence avec le travail. On considère que la famille est importante mais on constate aussi qu’elle est mouvante.

A la déstabilisation des familles qui a un impact sur la transformation du travail, un autre élément est important pour l’équilibre de vie : la montée en puissance des réseaux sociaux.

  • Le travail c’est aussi une activité que l’on investit d’attentes instrumentales, les premières attentes portent en priorité sur la rémunération et sur le statut du poste.

En France, l’attachement au statut social est important. La place que l’on occupe dans la hiérarchie de l’emploi est un marqueur fort de notre identité sociale. Cette place est elle-même très liée au niveau des diplômes.

Le constat est qu’il existe une tension entre ces attentes expressives et instrumentales que l’on projette sur le travail et la façon dont on va vivre le travail réel. Le travail est aujourd’hui rêvé, fantasmé. Dans cette situation, il convient de prendre en compte l’importance de la famille et de l’école qui ont une part de responsabilité car c’est bien là que se forgent les attentes.

Les représentations qui sont données par la famille et l’école accompagnent les individus tout au long de leur démarche de travail.

  • Entre ces attentes expressives et instrumentales et ce qui se passe sur le terrain, il y a une souffrance qui s’exprime.

Les Français ont une très mauvaise perception des conditions de travail. Ils déclarent que le travail est stressant, mal payé, qu’il offre peu de chance de promotion et que les contraintes physiques et émotionnelles sont fortes. C’est encore plus vrai pour les femmes qui sont dans les métiers du care. Ces contraintes pèsent également sur les étrangers et concrètement sur la couleur de la peau. En 2019, pour 37% des Français le travail est insupportable.

Cette souffrance vient de l’organisation du travail qui est elle-même pathogène. La France est un pays où les délais d’exécution des tâches sont les plus intenses alors que l’accompagnement des travailleurs est faible. Les équipes, les collectifs se sont dissous parce qu’il faut travailler de plus en plus vite. Dans le domaine médical, sanitaire ou médico-social le travail est tel que les personnels n’ont plus le temps de se parler, d’échanger. La conséquence est la disparition du collectif.

En France, l’organisation du travail se présente sous la forme verticale :

  • en haut de l’échelle des supérieurs qui donnent des ordres avec des exigences fortes en termes d’exécution, de contrôle et d’évaluation,

  • et, en bas de l’échelle des subalternes qui exécutent sans avoir le soutien du collectif et sans pouvoir discuter des conditions dans lesquelles ils vont travailler.

Cette division du travail est celle du début du XXème siècle. Elle est encore présente aujourd’hui alors qu’il existe d’autres formes de travail, d’autres métiers.

Les fortes exigences qui pèsent sur les personnels, le faible soutien du collectif et le peu de participation aux décisions communes entraînent une souffrance au travail.

Si l’on compare la France à la Suède on s’aperçoit qu’en France on planifie, on ordonne et on contrôle alors qu’en Suède, on apprend et on met en pratique. La façon de faire fonctionner les organisations est donc bien différente.

La conséquence est que les Français au travail souffrent. Cela se traduit par de l’ennui, de la lassitude, de l’épuisement, de l’isolement au travail, du désinvestissement progressif jusqu’à la démission. Pour résister au mal que l’organisation fait aux travailleurs on relève d’autres réactions comme l’ironie, la distance, la critique de l’organisation.

Cela se traduit de manière concrète par une dégradation de la santé des travailleurs et un nombre d’arrêts maladie qui ne cesse de croître. La France est le pays où l’on enregistre le plus d’arrêts maladie longs (30 jours). En 2022, en moyenne les arrêts maladie longs étaient de 97 jours en 2023 ils sont de 111 jours. Ce sont les troubles psychologiques qui augmentent et deviennent les 1ères causes, 14% en 2022 et 31 % en 2023.

Les secteurs les plus impactés sont les secteurs médicaux et les services médico-sociaux qui connaissent trois fois plus d’arrêts maladie que les autres secteurs. Cela se traduit par un fort absentéisme qui est chiffré en 2022 à 17 000 Équivalent Temps Plein ce qui a un impact sur les politiques publiques.

Autrefois, le record des arrêts maladie et accidents était enregistré dans le secteur des bâtiments et des travaux publics. Cela n’est plus le cas car on a remédié à un certain nombre de difficultés dans ce secteur. C’est une preuve qu’il est possible de trouver des remèdes pour sortir de cette sinistralité constatée aujourd’hui.

  • L’organisation du travail dans les entreprises est également impactée par un turn-over important

On quitte l’entreprise pour plusieurs raisons : les rémunérations (35%), la forme du travail qui ne convient pas, les horaires, le travail posté (23%), pour la pénibilité physique et psychique (7 %), pour un temps partiel subi, surtout dans le secteur médico-social (15°%) ou à cause d’une mauvaise orientation (11%).

Les 11 % concernant la mauvaise orientation sont considérés comme les plus importants car cela traduit la défaillance du système éducatif. Par exemple, dans le secteur social et médico-social, les auxiliaires de vie, les aides ménagères veulent rester dans le secteur mais elles souhaitent travailler dans l’administratif, dans les bureaux et non dans l’aide à la personne.

Sur le sujet de l’orientation et de la formation, c’est bien le système éducatif qui est en difficulté.

Le système éducatif que nous connaissons s’est coulé dans le New-Public-Management et cela touche le public comme le privé. Telle qu’elle est organisée aujourd’hui, la formation des jeunes va les renvoyer aux attentes citées plus haut, soit à un travail rêvé, idéalisé sur le papier, un travail globalement administratif. Et, pour faire fonctionner ce système d’organisation, on multiplie les services, les chefs de service qui sont les manageurs ayant pour rôle de contrôler et d’évaluer leurs subalternes dont ils sont très éloignés car ils ne connaissent pas leur travail. Ils sont eux-mêmes placés en difficulté.

Ces manageurs sont nommés des manageurs-empêchés à cause d’une triple distance : fonctionnelle car ils ne connaissent pas la scène de travail, temporelle ayant des délais très courts pour rendre des résultats et topographique car leur bureau est éloigné du terrain. Ce schéma d’organisation fait que manageurs et subalternes ne se rencontrent pas et cela de moins en moins. Le résultat est que le travail abstrait écrase le concret du travail et entraîne une vague de démission. C’est le cas des infirmières qui démissionnent massivement au bout de 10 ans d’exercice. On fait le même constat dans le système éducatif où au bout d’une énième réforme concernant la formation des professionnels de terrain on décide que dans la semaine il y aura 1h de français et ½ d’histoire et géographie. C’est une décision grave car ces jeunes auront des difficultés à lire leur contrat de travail, à comprendre le projet de l’établissement. On a déjà des jeunes en difficulté de lecture et qui n’ont plus accès à l’information. Comment feront-ils pour comprendre l’organisation de l’entreprise qui les recrute. Cette problématique se retrouve dans le social, la justice et l’éducatif c’est-à-dire dans les fonctions-supports.

  • Face à la mutation économique les jeunes développent une originalité et prennent de la distance avec l’entreprise

Face à ce changement économique à cette mutation, se répand l’idée d’une génération canapé avec des jeunes peu courageux. On les rend responsables de la situation ce qui n’est pas exact compte tenu des difficultés actuelles. On peut considérer qu’ils déploient une activité qui n’est pas forcément un emploi rémunéré et qu’ils développent une singularité en s’appuyant sur les réseaux sociaux, sur les transformations numériques.

Ce que l’on constate c’est que les jeunes ont effectivement du mal à rentrer dans l’emploi mais ce n’est pas la même chose que d’énoncer qu’ils ne veulent pas travailler. En fait, ils ont pris une distance réelle avec l’entreprise qu’ils considèrent toute orientée vers la question de la performance. On a donc des jeunes qui sont de plus en plus autonomes, de plus en plus connectés, de plus en plus liés à travers les réseaux sociaux. Ils développent des formes de travail nouvelles, plus personnalisées et que l’on peut réaliser chez soi. Ils sont donc prêts à faire des efforts pour créer un bien commun qui n’est pas forcément commercialisable via un marché.

Ils s’adonnent à leur passion mais ils sont éloignés de l’entreprise qui pour les intéresser doit changer son mode d’organisation.

Les entreprises aujourd’hui, comme la plupart des institutions traditionnelles, se sont auto-dévalorisées aux yeux des jeunes. Elles ont perdu leur attractivité parce qu’elles ont favorisé l’effritement des collectifs. De plus, elles n’ont pas trouvé de solutions originales aux injections de la mondialisation, de la financiarisation et au déficit climatique. Elles ont toutes répondu de la même manière donc elles se sont coupées de l’ensemble des relations que l’on peut avoir avec les parties prenantes, les territoires, les travailleurs, les collectivités territoriales, les syndicats. Aujourd’hui, le tout performance n’est pas ce qui répond le mieux aux attentes des uns et des autres.

  • Mais des pistes d’amélioration existent pour retrouver des valeurs communes

Il existe trois pistes d’amélioration :

  • revenir au réel du travail,

  • sortir de l’individualisation poussée à l’extrême,

  • retrouver les travailleurs qui vont partager une expérience et co-construire une innovation plutôt qu’elle leur soit imposée par les marchés financiers.

Cela signifie qu’il faut retrouver du collectif, revenir à des valeurs communes, repenser la formation. Cela prend du temps, ce que l’on ne fait pas actuellement. Pourtant, c’est ainsi que l’on redonne sa place au manageur qui sera celui qui connaît le métier et vers lequel les travailleurs se tourneront pour avoir un conseil. Cette démarche aboutit à une évaluation positive du travail bien fait, soit ce que l’on appelle le jugement de beauté en économie.

On a des exemples qui fonctionnent dans le privé comme dans le public quand des espaces de discussions et de collaboration ont été créés. Il ne s’agit pas d’organiser des réunions et que rien ne se passe ensuite. Ce système ne fonctionne plus. Pour retrouver le goût du travail, ces espaces de collaboration doivent déboucher sur du concret. Il est indispensable de rompre avec les promesses, avec l’instrumentalisation.

Ces solutions nous renvoient à la trilogie de Hischman qui expose que dans des situations de tension, il existe trois possibilités :

  • la sortie et on démissionne,

  • la grève, le désaccord et on manifeste, on fait grève,

  • la fidélité à l’organisation et pour cela il faut lui faire confiance.

C’est sur ce dernier point de la fidélité que les espaces de co-construction prennent toute leur importance. Ce sont dans ces espaces que la parole des travailleurs peut et doit être prise en compte. Cela fonctionne dans des secteurs qui « craquent », c’est donc une preuve que cela est possible.


 

***************


 

ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC


 

Public : P Mme Nathalie Geneste : Exp


 

: le taylorisme existe-t-il encore ? Exp : c’est une forme de fragmentation de la pratique du travail qui globalement existe encore dans les entreprises françaises.

P : comment donner envie de travailler ? – il faudrait sortir de la mondialisation - Exp : on n’est pas attiré par le travail tel qu’il est présenté - il faut redonner du sens – sortir de la mondialisation impossible – c’est une responsabilité individuelle – acheter local dans l’agriculture (comme pendant le COVID) et dans l’industrie.

P : et les droits de douane ? Exp : c’est décidé par les systèmes politiques que nous constituons par notre vote.

P : faire une distinction entre métier et emploi est important, dans le 1er cas on peut travailler 75h est être heureux dans le second cas on s’ennuie. Tout dépend de l’orientation – les jeunes sont perdus- on a un master 2 (5 années d’études supérieures) et on est factrice – pas de formation pour apprendre les responsabilités qui incombent aux patrons – Exp : l’éducation et l’orientation sont à repenser – voir également la part de responsabilité des parents qui pensent que leurs enfants auront un meilleur travail que le leur avec des diplômes alors que le sens du diplôme est perdu.

P : comment réfléchir pour donner un sens à une entreprise comme celle des Papeteries à Condat ? Exp : quelles sont les attentes, quelle est l’entreprise dont vous rêveriez ? - : avant il y avait un cadre – aujourd’hui aucune possibilité de progresser dans l’entreprise – on ne démissionne pas dans les milieux ruraux, on garde son emploi – 1 exemple : on envoie une lettre de licenciement à un employé quelques jours après le décès de son épouse - Exp : dans une situation comme à Condat une des solutions serait de s’appuyer sur des espaces de dialogues, de se retrouver autour d’une table, tous y compris les parties prenantes espagnoles. C’est dans ces espaces que les travailleurs peuvent retrouver une voix. Pour la souffrance évoquée c’est un point à travailler ensemble, les uns avec les autres - P : par le passé tout le monde connaissait le Directeur de Condat, maintenant ? les directeurs sont en haut de la pyramide, ils sont là 2 ou 3 ans – il n’y a plus ces valeurs de travail – on était fier de travailler à Condat – aujourd’hui cela n’est plus une fierté. On ne comprend plus ce qui se passe, si on veut agir dans l’entreprise on est sanctionné, on essaie de proposer des choses mais en face on n’est pas entendu – donc il y a du repli on se protège – perte de cohérence et perte d’action – on travaille pour aller chercher un salaire – c’est tout et c’est dommage – Exp : en milieu rural les problématiques ne se règlent pas de la même manière, les alternatives et les opportunités ne sont pas les mêmes – on ne quitte pas son entreprise facilement - si on est désinvesti c’est que l’on a renoncé pour se protéger – de la même manière on y rentre par nécessité c’est ce que font les jeunes- ils assurent l’alimentaire et ils investissent d’autres champs (sport, art, réseaux sociaux, tutos, capsules vidéo) – dans ces capsules vidéo ils se présentent comme des experts dans certains domaines – c’est une activité de création – ils participent au bien commun – il y a des lieux où patrons et employés s’engagent dans une autre voie , une autre manière de travailler pour rendre l’entreprise attractive – un patron digne de ce nom, avec cet engagement, même présent pour 2 ans dans l’entreprise, aura le goût de travailler bien. Donc, il y a des voies possibles même si c’est dur.

P : que pensez-vous du télétravail ? – Exp : c’est une traduction de la transformation du monde du travail – la France a commencé tardivement – c’est la crise du Covid qui a enclenché le mouvement du télétravail – une étude indique que chez les cadres, 1 cadre sur 2 démissionnerait si on lui supprimait la possibilité de travailler en télétravail – leur vie s’organise autour du travail mais avec leurs autres centres d’intérêts ( la famille, la domesticité, leur lieu de vie) – cela serait pour eux une manière de redonner du sens à leur travail, de l’autonomie, de pouvoir agir sur leur propre vie – C’est un des filoutages des cadres pour redonner du sens à leur travail mais cela n’est pas une bonne nouvelle pour les collectifs qui ne voient les cadres qu’un jour ou deux par semaine. L’organisation va continuer à produire mais cela sera de la souffrance à tous les niveaux – le résultat pour le moment est ambivalent.

P : que pensez-vous de la robotisation ? Exp : c’est l’introduction d’une technique exogène dans les pratiques du travail - cela vient remplacer le travail humain – en France on n’est pas bon sur la planification – les robots sont là, la numérisation est là - des emplois vont disparaître mais d’autres vont apparaître - anticipons, préparons, formons à des techniques différentes pour rendre les travailleurs moins vulnérables à la mondialisation et aux ouvertures et fermetures d’entreprises - la robotisation, la technique dans l’activité, cela se prépare – avec robotisation , intelligence artificielle naissent les inquiétudes des pertes d’emploi comme lors les 1ères révolutions industrielles – il y a une nécessité de travailler sur les questions de reconversion et de substitution de l’humain à la machine.

TÉMOIGNAGE : dirigeant d’une entreprise de 500 salariés, après avoir débuté simple stagiaire, j’apporte un témoignage : sans oublier la douleur ressentie par les ouvriers de Condat, il convient de souligner que dans l’industrie tout ne se passe pas comme à Condat. C’est une structure particulière - Dans l’entreprise que je dirige la coparticipation au travail existe – dialoguer avec le personnel est indispensable, c’est un élément majeur, on ne peut faire vivre une entreprise et garder le personnel sans des échanges permanents entre direction et personnel – on ne dirige plus une entreprise comme il y a 30 ou 40 ans – le management c’est une rencontre quotidienne, le matin on échange avec les salariés qui nous « donnent le tempo de la journée » - c’est ainsi que l’on apprend ce qui ne va pas et cela simplifie le travail des manageurs – Aujourd’hui, les industries fonctionnent de cette manière, les conditions de travail sont prises en compte, on aménage les postes de travail , on assure la sécurité et on protège la santé des employés.

Au sujet de la mondialisation, la responsabilité individuelle est importante – dans les années 1990 sont apparus sur le marché des téléviseurs fabriqués en Chine bien moins chers que ceux fabriqués par Philips, la suite a été un achat massif de ces téléviseurs et aujourd’hui on ne fabrique plus de téléviseurs en France – il y a pourtant des usines électroniques en France parce qu’elles se sont réadaptées et ont cherché d’autres marchés, donc il convient de trouver un compromis.

Au sujet des jeunes face à l’emploi, il y a ceux qui comprennent que « c’est par le travail que l’on s’en sort » et ceux qui sont éloignés du monde du travail – le rôle de l’éducation est essentiel – les robots rentrent dans les entreprises en France et on va les fabriquer et les utiliser intelligemment pour assurer la productivité - pour permettre aux jeunes d’aller vers ces travaux il faut un niveau - il faut donc éduquer et former- aujourd’hui dans les pays occidentaux, la formation dans ce secteur est défaillante et l’instruction mérite que l’on insiste sur le désir de « travailler pour s’en sortir »- la compétition mondiale est là, c’est compliqué ,il faut du courage – les deux points à travailler dans l’immédiat : l’éducation et l’instruction

Exp : oui les emplois se transforment et la question de la formation est essentielle – aujourd’hui on a une diminution des apprentissages traditionnels, lecture, culture, comptes, c’est grave par rapport à la création des robots et à leur utilisation – il faut savoir lire les modes d’emploi, les procédures –

Il y a problème si les jeunes ne sont pas capables de les lire - on est bien dans cette situation, avec bac +2 ou Bac +3 les difficultés sont aujourd’hui dans la lecture et la compréhension – dans le travail en France, le niveau de diplôme est important alors que l’essentiel « c’est la qualité du diplôme et de la formation afin qu’elle puisse servir une vie belle, bonne y compris au travail » – un exemple : en 1ère année d’université le taux de réussite aux examens est extrêmement faible (12 à 15%) toutes filières confondues – dans une épreuve d’une heure qui comprend une lecture de 15 à 20 lignes que l’on peut lire normalement en 30 secondes et comprendre rapidement pour poursuivre l’épreuve, il leur faut 20 minutes pour décrypter le texte, ils lisent presque à voix haute – de plus en plus de jeunes ne savent pas lire et compter correctement avec des diplômes supérieurs et des mentions – en résumé : on a des jeunes bien diplômés et en difficulté énorme dans l’emploi. Pour l’avenir, le levier majeur : l’éducation et l’instruction, c’est un travail que l’on peut faire.

P : quelles solutions pour les jeunes qui ne savent pas lire ? Exp : reconsidérer les apprentissages élémentaires dès le plus jeune âge – on est passé à une école inclusive où l’on a des enfants avec des différences, des difficultés autrefois ils n’étaient pas inclus - dans les apprentissages ces enfants prennent du temps et des compétences qui sont détournées des autres – on ne sait pas encore bien gérer cette école inclusive qui est une très belle chose – en 1er il faut arrêter de réformer l’école sans cesse, les enseignants ne s’y retrouvent pas – beaucoup démissionnent – revenir à l’apprentissage des fondamentaux en définissant une stratégie puis la mettre en œuvre suffisamment longtemps et évaluer ses effets.

P : cette fétichisation de l’argent ne remonterait-elle pas aux années 80 ? n’aurait-elle pas engendré cette génération de youtubeurs, d’influenceurs qui n’ont plus envie de travailler pour 2 000€ par mois ? Exp : ces années- là proposaient encore des opportunités de travail réel - sur l’usage des réseaux sociaux, le phénomène est plus récent – les youtubeurs sont dans la création d’une activité qui transforme le vivre ensemble – on les qualifie d’éditeurs de contenu mais dans ce secteur il n’y a pas de formation – cette activité chez les jeunes et moins jeunes est une traduction du désinvestissement du travail traditionnel , c’est la solution qu’ils ont trouvé, c’est une forme de filoutage qui leur permet de vivre – les jeunes qui sont en quête de sens, qui ne sont pas orientés ou en difficulté, sont impressionnés et sensibles à cette possibilité d’activité – cela se développe grâce aux médias, aux émissions de téléréalité – ils sont peu nombreux mais influents et dans les représentations des jeunes c’est dévastateur - exemple : le sport électronique appelé le e-sport , l’idée est d’avoir une activité sportive à distance, cela passionne beaucoup de jeunes - ils sont plongés dans une réalité virtuelle inquiétante car ils désinvestissent le travail, la réalité et se mettent en marge.

TEMOIGNAGE : jeune fille en service civique au sein d’une radio, je présente mon point de vue sur les youtubeurs qui aujourd’hui est un métier accessible à tout le monde, cela représente des dangers sachant que l’on peut détruire la carrière de quelqu’un très rapidement en diffusant de fausses informations – les jeunes sont très individualistes préfèrent travailler seuls chez eux – au sujet de l’intelligence artificielle c’est innovant mais cela fait peur - mon parcours : « j’ai le bac Covid avec mention mais je n’ai pas passé le bac » - après deux refus d’inscription pour poursuivre des études (en BTS édition et en Management Commercial Opération MCO) une tentative en Droit qui a échoué car mal orientée, j’ai travaillé dans une entreprise et j’ai fait des études à distance de formation juridique validée avec succès. Malgré de nombreuses recherches je n’ai pu obtenir d’emploi l’argument de refus étant le fait que je n’avais pas d’expérience. Aujourd’hui, j’ai trouvé un travail dans l’armée et je vais suivre une formation dans un secteur qui me plaît en sachant que j’aurai un emploi. Mon témoignage : « je n’ai jamais rien lâché ».

TÉMOIGNAGE : notre société a évolué très vite, j’ai connu le papier carbone et on est arrivé à la puce électronique, on peut regretter l’abandon du travail en alternance où les anciens transmettaient leurs savoirs aux plus jeunes avec joie, les échanges étaient positifs pour tout le monde – cela n’existe plus – les entreprises ont besoin de jeunes « dégourdis » et non de surdiplômés – l’apprentissage est en question.

TÉMOIGNAGE : Évêque du diocèse de Périgueux et Sarlat, «  je suis profondément interpellé dans la responsabilité qui est la mienne par les évènements de la papeterie de Condat où j’ai conscience de l’importance de la nécessité d’une réflexion – il faut se réintéresser au monde du travail – réfléchir à la dignité humaine, au bien commun, à la solidarité – aller plus loin en travaillant ensemble c’est le principe de subsidiarité dans l’entreprise – dans l’Église on a l’image du corps pour expliquer ce principe, il y a la tête puis les membres, bras, jambes qui doivent fonctionner avec leur autonomie propre – je vais repartir en essayant d’investir dans une réflexion à mon niveau modestement ».

TÉMOIGNAGE : Mme le Maire du Lardin-Saint-Lazare, Présidente de l’association Interprofessionnelle du Terrassonnais (AIT) expose son point de vue sur la distance qui existe entre l’école et le monde du travail, l’entreprise – les collégiens, les lycéens ne connaissent pas l’entreprise, les secteurs d’activités, les métiers, que fait-on dans une banque ? que font leurs parents aux Papeteries de Condat ? – sans cette connaissance comment avoir envie de travailler ? les professeurs eux-mêmes quand ils visitent les entreprises découvrent ce monde – comment transmettre sans cette approche ? - le premier travail passe par la découverte après on peut passer à l’apprentissage – les chefs d’entreprise sont également responsables pour s’être longtemps fermés au monde de l’éducation – aujourd’hui il existe des comités locaux école-entreprises – l’éducation nationale commence à œuvrer dans ce sens, au niveau des lycées « un parcours avenir » est mis en place avec une obligation d’aller dans les entreprises – donner du concret, du sens aux jeunes et leur présenter l’entreprise bien en amont et non au niveau bac +3. L’association AIT travaille à ce rapprochement école-entreprises en liaison avec l’éducation nationale.


 

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Réunion à BERSAC commune de Le Lardin St Lazare sur divers sujets de société